Les Diplômés du Cnac Causent des Frictions - CircusTalk

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Les Diplômés du Cnac Causent des Frictions

Le public s’installe au son des pulsations d’une musique house discrète qui s’élève peu à peu. Au centre de la piste, un grand parachute blanc se soulève. Dessous, des ombres se meuvent lentement puis accélèrent le rythme au fur et à mesure que le volume augmente. Quelques minutes seulement s’écoulent avant que le chapiteau entier ne se remplisse d’un vrombissement de basses et que les ombres, sous le parachute, ne se mettent à danser frénétiquement comme si elles se trouvaient dans une boîte de nuit privée. C’est ainsi que démarre le spectacle.

La dernière phase du cursus du Cnac, dite d’insertion professionnelle, consiste notamment en la création et la présentation du spectacle de fin d’études qui valident le diplôme d’artiste de cirque. Il s’agit du dernier spectacle avant de quitter le monde confiné de l’école du cirque et d’entrer dans le monde du cirque professionnel. Le spectacle se joue pendant une brève période sur la scène du Cnac puis s’installe à la Villette pour être présenté à un public parisien avant de partir en tournée en France pendant quelques mois.

Dans le cadre de ce spectacle fascinant présenté par les étudiants du Cnac, les metteurs en scène Antoine Rigot (Les Colporteurs) et la Canadienne Alice Ronfard ont voulu faire passer un message audacieux et imprévisible. La couleur des costumes des 17 artistes dans F(r)ICTION est neutre. Si, comme le titre le suggère, ils ne sont pas là pour nous brosser dans le sens du poil, le choix des couleurs des costumes (des sous-vêtements beiges) semble inoffensif. On y trouve même une recherche de neutralité de genre avec des artistes qui portent tous des brassières et des culottes beiges, voir des robes beiges dans certaines scènes. Le jeu de lumière est sobre aussi, créant presque l’illusion d’une brume couvrant la scène. Le but de cette sobriété est de nous permettre de nous concentrer sur ce qui compte : le mouvement et la musique qui eux, sont loin d’être neutres.

La musique, composée par Gaspard Panfiloff, est le véritable partenaire de chacun des artistes. Elle impose une ambiance saisissante qui oscille entre le moderne et l’ancien et qui pousse les artistes à passer de mouvements charmants, mais formels d’un temps passé, à des mouvements plus désinvoltes, caractéristiques du monde d’aujourd’hui. Le voyage dans le temps n’est pas la seule prouesse accomplie par les diplômés du Cnac : ils transcendent et fusionnent les différentes disciplines en brouillant les frontières entre chaque numéro. Alors que les variations de musique et de styles de danse nous secouent et nous confrontent au temps qui passe, l’aisance avec laquelle les artistes passent d’une discipline à l’autre, certaines en dehors du champ des disciplines du cirque telles que la danse, la guitare et le chant, nous berce et créée une sensation de déjà-vu. Le point de vue du public, qui suit le point de vue des artistes, est en constante évolution.

Le spectacle commence par une scène qui se déroule sous une tente en forme de bulle et dont l’ambiance est presque méditative et se transforme peu à peu en fête dansante. C’est ensuite au tour de l’équilibriste Lucille Chalopin soutenue par le reste de la troupe, puis des acrobaties collectives émergent jusqu’à ce que Hernan Elencwajg, grand et barbu, enfile une tunique beige évoquant Jésus. Avec dextérité, Lili Parson se déplace dans sa roue Cyr autour de la troupe qui l’entraîne dans un numéro de banquine. Une patineuse à roulette (Hamza Benlabied) est soulevée dans les airs par des sangles, sa fluidité et sa soudaine légèreté sont à couper le souffle. La trapéziste Léa Leprêtre fait son numéro aérien au-dessus de ses camarades allongés sous le trapèze, prêts à amortir la chute dans le cas où elle viendrait à manquer un temps. Il ne semble y avoir ni rime ni raison, mais il y a un rythme et ce rythme est émouvant, comme si l’univers se déployait sous nos yeux en nous révélant sa raison d’être. Chaque numéro découle du précédent mettant ainsi en valeur des principes fondamentaux de société. Iln’y a pas de pauses pour les applaudissements, la musique entraîne naturellement le spectateur d’une atmosphère à une autre.

Curieusement, le spectateur n’est pas seul. En tout temps, sur la piste, se trouve une personne en dehors de l’action qui regarde, tout comme le spectateur. Elle est assise et elle observe ce qu’il se passe. Parfois, elle est subjuguée. Parfois, elle s’ennuie et elle s’agite. Ses réactions ne sont pas toujours les mêmes que celles du spectateur, mais on n’y prête pas tellement attention, car il se passe tant de choses sur la piste. La présence de cette observatrice est à la fois curieuse et déstabilisante. Elle est la preuve que le spectateur fait partie intégrante du spectacle.

La cohésion du groupe et la confiance entre les membres est un thème saillant du spectacle. Chaque artiste est impliqué d’une façon ou d’une autre dans chaque numéro. La funambule (Poppy Plowman) s’amuse avec Lili Parson qui, pendant son numéro de natte suspendue, bondit furtivement sur la corde raide tel Peter Pan puis s’esquive avec tout autant de grâce. Un mât chinois est érigé et les deux acrobates, Léon Volet et Joad Caron, s’entremêlent avec le fildefériste, adoptant le même rythme et sautant d’un appareil à l’autre. Un groupe de rock joue un riff au moment où se forme un portique coréen. Le porteur du duo (Johannes Holm Veje) fait voler le voltigeur (Martin Richard) dans les airs pendant que le reste de la troupe l’encourage à lancer toujours plus haut. Même la bascule coréenne est assujettie à ce travail d’équipe au moment où tous les acrobates qui se trouvent dessus se ruent soudainement pour s’en sauver avant d’être éjectés par les sauts acharnés de Hernan Elenwajc and Tanguy Pelayo.

La seule chose que l’on pourrait reprocher à la mise en scène est que malgré la parité des sexes, le choix des disciplines est très genré. Qu’est-ce qui fait que les femmes sont attirées par le trapèze et les hommes par la bascule coréenne alors que l’on voit autant d’hommes que de femmes manier la roue de Cyr comme dans ce spectacle avec Jules Sardoughi et Lili Parson?Bien que l’on joue avec ces conventions dans le monde du cirque professionnel, dans le cadre scolaire, les hommes tendent à préférer les disciplines plus à risques alors que les femmes choisissent les disciplines artistiques. Les acrobaties de groupes sont les seuls moments où cette différence n’existe plus.

À la fin du spectacle, la personne qui observait depuis la scène se lève de la chaise sur laquelle elle s’était tour à tour tortillée d’excitation et ennuyée pour aller se fondre dans le groupe. Elle (Gwenn Buczkowski) s’élève sur le trapèze fixe, une guitare lui joue une sérénade pendant qu’elle exécute un numéro original et saisissant, exprimant enfin le mal-être qu’elle avait refoulé jusque-là en tant qu’observatrice. Dans la scène finale, la troupe réapparaît, chaque membre vêtu d’une jupe blanche en plastique et, sur un ton plus formel, danse une valse magnifique, autour d’un trapèze. Alors que la troupe forme un cercle autour de Sandra Reichenberger sur son trapèze ballant, elle regarde émerveillée tout en survolant l’action, comme témoin d’une époque plus simple qui la remplit d’inspiration. L’observatrice observe avec nous et, l’espace d’un instant, parait aussi subjuguée que les spectateurs par la poésie de ce moment.

 

Alejandra Rojas
Translator
CANADA

Née en France de parents chiliens, Alejandra vit à Montréal avec son mari anglais et leurs deux enfants canadiens. Après avoir obtenu une maîtrise en communication politique et publique à Paris, elle a passé quelques années en Angleterre où elle a travaillé dans le monde de la presse et de la publicité. C’est là que les travaux de rédaction et correction l’ont naturellement menée à la traduction. En 2012, fraîchement installée à Montréal, elle a décidé de suivre son cœur : elle a entrepris des études à l’Université de Montréal pour obtenir sa certification et est devenue traductrice-pigiste.
Photos fournies avec l’aimable autorisation de Christophe Raynaud de Lage

 

Kim Campbell
Writer -USA
Kim Campbell has written about circus for CircusTalk.News, Spectacle magazine, Circus Now, Circus Promoters and was a resident for Circus Stories, Le Cirque Vu Par with En Piste in 2015 at the Montreal Completement Cirque Festival. They are the former editor of CircusTalk.News, American Circus Educators magazine, as well as a staff writer for the web publication Third Coast Review, where they write about circus, theatre, arts and culture. Kim is a member of the American Theater Critics Association.

 

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