The Element of Language of French Contemporary Circus Artists

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Les Éléments de Langage des Artistes de Cirque Contemporain Français

Au moment des catastrophes climatiques, des crises migratoires et de la Covid-19, la question de la responsabilité des artistes est devenue d’autant plus urgente. Quel est donc le rôle du cirque dans la société ? Dans quelle mesure cette forme d’art et de divertissement est-elle en corrélation avec les intérêts sociaux historiques et contemporains ? Comment la recherche sur le cirque se positionne-t-elle comme un domaine de recherche pertinent au sein du monde universitaire au XXIe siècle ? Ces questions seront explorées dans le cadre de la sérieAdventures in Circus Research. Facing a New Decade, sous la direction du Dr. Franziska Trapp. En mettant en vedette des chercheurs du cirque, nous leur donnons l’espace nécessaire pour expliquer la nature et l’importance de leurs recherches directement à la communauté du cirque et pour mettre en évidence l’impact pratique de leurs recherches sur le monde du cirque et leur pertinence pour la société.

Dans le cinquième article de la série, Léa de Truchis, doctorante à l’Université de Montpellier, donne un aperçu de ses recherches dans lesquelles elle analyse l’auto présentation des artistes de cirque dans les feuilles de salle, les programmes de festivals et les dossiers de production. En analysant le vocabulaire utilisé dans ces textes, Léa de Truchis révèle un discours de cirque adouci qui s’intéresse moins à la représentation de la supériorité de l’homme qu’à la présentation de l’humanité

L’idée de faire un doctorat sur le cirque est venue après des heures de discussion avec ma sœur. Nous parlions de spectacles que nous avions vu : elle utilisait son propre vocabulaire – celui d’une artiste de cirque – tandis que j’avais le mien – celui d’une étudiante en études théâtrales. Je me suis vite rendue compte qu’elle employait des mots dérivés du champ du théâtre pour parler de cirque, comme dramaturgie, mais qu’elle les comprenait dans un sens différent de celui qui m’avait été enseigné en théâtre. Je me suis donc lancée dans cette thèse avec l’idée d’analyser et de comprendre les éléments de langage des artistes de cirque. Par exemple, comment les artistes se désignent-ils eux-mêmes ? De quelles notions se servent-ils pour parler de cirque ? Et qu’est-ce que ces mots révèlent de la reconnaissance du statut d’artiste de cirque dans la société contemporaine française ?

On est passé d’une esthétique du surhomme à une esthétique de la banalité, et c’est la poésie du banal qui est mise en avant

En me posant ces questions, je dois aussi faire face au défi que représente l’analyse d’un art qui se définit par sa diversité. Comme Marine Cordier l’explique, « S’il est de manière générale malaisé de définir les contours d’un secteur artistique, la production de données statistiques s’avère encore plus difficile pour le cirque, en raison notamment du caractère itinérant des entreprises, mais aussi des difficultés à définir les critères pertinents pour décrire un secteur en pleine recomposition[1] ». J’ai donc décidé de m’appuyer notamment sur un corpus de textes créés par les compagnies elles-mêmes : les feuilles de salle, les textes des programmes de festivals (ou de saison), et les dossiers artistiques de tous les spectacles que j’ai pu voir depuis 2017 (soit 150 spectacles). 

Quelques programmes de festivals que j’ai pu récupérer. 

L’un de mes corpus d’investigations est donc basé sur des outils de communication créés pour les spectacles, et dans lequel on peut voir « ces « éléments de langage » […] dont la fabrication vise à rendre le discours accessible au plus grand nombre[2] » qui me permettraient de comprendre comment les artistes dérivent le cirque contemporain lorsqu’il s’agit de s’adresser au grand public et aux institutions. Qu’est-ce qui fait partie du vocabulaire propre au cirque ? Quels sont les éléments de langage qui apparaissent selon les outils de communication et selon le public qu’ils visent ? 

Dans l’idée de questionner les discours des artistes, je me suis donc penchée sur les feuilles de salle et les programmes de festival que j’ai pu récupérer durant toutes mes expériences de spectatrice depuis septembre 2017. J’ai collecté ces textes durant les festivals, je les ai lus encore et encore, jusqu’à pouvoir identifier les mots qui revenaient le plus souvent dans chacun des textes ; et finalement j’ai fait le relevé manuel de ces termes (selon une méthode rigoureuse) pour pouvoir créer des statistiques. Les termes identifiés ont été divisés en trois catégories : ceux qui désignent les formats et champ disciplinaires des spectacles, ceux qui expriment les fonctions et compétences des artistes, et enfin ceux qui reviennent le plus souvent dans les descriptions des spectacles. 

Dans le cas des termes les plus récurrents, cinq catégories de mots apparaissent dans la moitié des feuilles de salle : « corps », « vie », « jeu », « mouvement » et « rire ». Cependant, alors que dans les dossiers de production, c’est le terme « vie » qui revient le plus, dans les feuilles de salle c’est celui de « corps » qui est employé majoritairement, et dans les programmes de festivals c’est celui du « rire » qui est le plus récurrent. Il faut donc admettre que les trois corpus de textes n’insistent pas sur les mêmes éléments : les premiers évoquent l’idée principale du spectacle, les seconds décrivent les éléments du spectacle, et les derniers donnent le ton. Chaque outil a sa propre finalité et vise des publics différents et différemment. 

En plus de ces cinq termes récurrents, on relève également des thématiques, comme celle du risque (risque, équilibre, chute), celle que l’on a qualifié de thématique de la douceur (regroupant les catégories poésie, langage, émotion, fragile, et intime) et celle de la tradition (collectif, cercle et virtuosité). À travers l’ensemble du relevé des termes les plus fréquents, on note à la fois une diversité des thématiques, et à la fois une cohérence dans l’ensemble des mots utilisés par ce corpus de spectacles. Ces effets de langage tendent vers un discours du cirque adouci, moins dans la représentation de l’image de l’Homme, et plus dans la présentation de l’humain, d’une humanité simple. 

Nuage des mots les plus récurrents dans les trois corpus.

On est passé d’une esthétique du surhomme à une esthétique de la banalité, et c’est la poésie du banal qui est mise en avant (intimité, quotidien, objet, fragilité, corps, langage) : aujourd’hui le cirque se rend accessible, non plus à travers l’éclat de la surprise mais à travers une esthétique de l’identification du spectateur à l’acrobate. À travers cette étude on propose donc la qualification d’esthétique de la banalité, qui valorise l’identification du spectateur à l’acrobate malgré les techniques de cirque : le cirque devient une matière extra ordinaire pour traiter de la vie ordinaire. Aussi, on constate que le panorama de spectacles de cirque vus pour cette enquête tourne, dans ses descriptions, autour de notions communes, et ce malgré la diversité artistique de ce panorama.  

En conclusion on peut admettre que le cirque contemporain français soulève des thématiques qui relèvent d’un certain point de vue sur la société. Cependant, on retrouve peu souvent un engagement politique fort sur scène, même si un certain nombre d’artistes évoquent des thèmes comme l’écologie ou la question des genres dans leurs spectacles. « Engagement » est un mot qui ne revient que très peu dans les dossiers artistiques, et encore moins dans les feuilles de salle et les programmes de festivals. Est-ce à dire que les artistes de cirque en France ne sont pas engagés ? Je ne prends pas un grand risque en disant que non, toutefois il serait particulièrement intéressant de se pencher sur le statut de l’artiste de cirque dans la société française pour interroger sa place et l’impact qu’il pourrait avoir en tant qu’artiste engagé. En a-t-il seulement l’espace ? Est-on capable en France de prendre au sérieux un artiste de cirque engagé ? 


Citations

[1] Marine Cordier, « Le cirque contemporain entre rationalisation et quête d'autonomie » (pp. 37-59), in Sociétés contemporaines n°66, Presses de Sciences Po, 2007, p. 39. https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2007-2-page-37.htm.

[2] Ollivier-Yaniv Caroline, « Les « petites phrases » et « éléments de langage ». Des catégories en tension ou l’impossible contrôle de la parole par les spécialistes de la communication », Communication & langages, 2011/2 (N° 168), p. 57-68. https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2011-2-page-57.htm

 

[i] Cet article est un extrait de ma thèse, pas encore publiée au moment de la rédaction de ce texte : « Discours et pratiques dans le champ du cirque contemporain français. Identité(s) et esthétique(s) d’un art en quête de légitimité » (Philippe Goudard (dir.), Université Paul Valéry Montpellier 3). 

 

Toutes les photos sont une gracieuseté de Léa de Truchis. Photo vedette de Circa 2018, source Instagram.
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Lea de Truchis

Léa de Truchis is a PhD researcher in performing arts, questioning specificities and identities of French contemporary circus. She does her research by travelling around France from festival to festival, as a volunteer or as an intern (with La Brèche in Cherbourg, La Verrerie d'Alès, and Occitanie fait son cirque in Avignon, but also with the company Akoreacro), to meet circus artists. At the same time, she teaches circus history and performance analysis at the University Toulouse Jean Jaurès and the University Paul Valéry Montpellier 3. Short bio Léa de Truchis est une doctorante en arts du spectacle questionnant le cirque actuel sous le prisme de la notion de dramaturgie. Elle fait ses recherches en parcourant la France de festival en festival, en tant que bénévole ou en tant que stagiaire (avec La Brèche à Cherbourg, La Verrerie d’Alès et Occitanie fait son cirque en Avignon, mais aussi avec la compagnie Akoreacro), pour aller à la rencontre des artistes de cirque. En parallèle, elle donne des cours d’histoire du cirque et d’analyse de spectacles à l’université Toulouse Jean Jaurès et à l’université Paul Valéry Montpellier 3.